Le Frac Île-de-France présente au Plateau la 1ère exposition personnelle en France (en institution), de Ndayé Kouagou. Ses différentes pratiques s’articulent autour du langage sans qu’il n’établisse de hiérarchie entre elles. De la matérialité du tableau, aux vidéos évoquant l’univers des influenceurs, à celles intimes et éphémères des performances ou des workshops, son œuvre considère au même niveau la transmission via l’objet que via le spectacle ou le format pédagogique. S’adresser à l’autre est le leitmotiv de son besoin de créer. Artiste autodidacte, il y a dans son travail une volonté d’échange et d’ouverture, une envie d’autoriser l’autre à se rêver lui-même. En ce sens, son travail se rapproche des influenceurs et influenceuses des réseaux sociaux qui cherchent à nous donner de l’énergie et de la volonté, et nous serinent “Soi toi-même !”.
Vraiment ?
Non, pas vraiment, car les textes de Kouagou semblent tout à la fois nous perdre et nous guider, laissant une place très conséquente au doute.
Moi je suis pour une vision manichéenne de tout ! Une division simple des choses, bien ou mal, oui ou non. Quelque chose de simple quoi. Pour moi c’est un rêve plus qu’autre chose. Je suis une personne de doute, le doute ne me quitte jamais. Par exemple je ne suis pas certain de souhaiter une division simple des choses. Je ne suis pas certain du bon ou du mauvais de cette division manichéenne appliquée à tout. Mais malgré tout je la souhaite du plus profond de mon cœur.[1]
On a dû mal à savoir si l’écriture de l’artiste est extrêmement profonde ou superficielle, sérieuse ou bien ironique ? Interrogé sur cette écriture évanescente, l’artiste répond que son objectif est de laisser du temps au public. Ne pas donner de messages qui vont être rapidement digérés, mais semer des graines qui vont ensuite habiter l’esprit, y grandir. Cela permet de laisser l’interprétation ouverte, d’offrir une zone de liberté mais aussi une légèreté. Ce jeu avec le manichéisme et une vision binaire des choses du monde innerve l’ensemble du travail de Ndayé Kouagou. En effet, selon lui, nous aspirons tous et toutes à des choses simples et précises, mais si nous nous confrontons à un choix binaire, notre cerveau se bloque. Ainsi, dans l’une de ses dernières performances publiques, l’artiste incite l’audience à se diviser en deux camps : les personnes extraordinaires doivent se diriger d’un côté, de l’autre se rendront les personnes moyennes et/ou minables. Un choix aussi impossible que ridicule, mettant en avant la difficulté à se définir soi-même.
Chaque parole énoncée par l’artiste est imprégnée d’une mémoire à la fois personnelle et collective qui s’amplifie et se modifie dans la réception de la personne qui interprète l’œuvre. Ndayé Kouagou se filme lui-même mais son principe est de se choisir un personnage fictif permettant un lien de “soi à soi, de soi à l’autre, de soi au groupe”, pour s’adresser à tous les publics, quel que soit leur background. Il y a dans son travail une recherche d’accessibilité.
Si le récit transmis par Ndayé Kouagou représente une alternative à l’information médiatique binaire (bien/mal, eux/nous), notamment par son attachement non négociable au doute, son travail s’inspire pourtant directement de théories du marketing et de la communication. “Moi je travaille le texte, je connais les limites du texte. Le marketing m’a appris à rendre le texte attirant […] C’est le propre de notre époque, l’image est plus forte que le texte. Je ne suis pas écœuré, ou dégoûté ou nostalgique, c’est une question de forme”[2] .
Et en cela, Ndayé Kouagou est résolument pop. Il s’approprie, comme le pop art, les outils créant la dominante esthétique de son époque. En s’appropriant ces outils techniques (TikTok, YouTube, Instagram …), Ndayé Kouagou actualise le pop art, comme d’autres artistes de sa génération (Sara Sadik par exemple). L’utilisation de formats populaires lui permet de s’appuyer sur les codes du développement personnel pour proposer une nouvelle forme de métaphysique de l’être qui s’adresse directement à nous, publics, nous invitant à nous situer dans la complexité du monde.
Cette appropriation des outils de production de contenus est proposée aux publics, avec la mise en place d’un lieu de conversation intégré à l’exposition. Défini par le nouveau projet du Frac Île-de-France, cet espace de pratique libre a immédiatement concerné l’artiste qui a souhaité l’intégrer directement à son parcours et en faire une œuvre participative. L’exposition s’ouvre et se ferme ainsi sur une aire d’activité pour tous et toutes, où s’exposera un jeu de questions-réponses reflétant la palette de doutes que génère l’injonction à l’évaluation permanente.
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Né en 1992 à Montreuil, Ndayé Kouagou, auteur, performeur et vidéaste, vit au Perreux-sur-Marne. Autodidacte, il est entré sur la scène artistique contemporaine par le biais de l’écriture, puis de la performance. Young Black Romantics est le pseudonyme qu’il utilise sur les réseaux sociaux. Emblématique des artistes de sa génération, Ndayé Kouagou n’établit pas de hiérarchie entre ses différentes pratiques articulées autour de l’écriture et du langage.
Il a présenté son travail à Auto Italia South East (Londres), au Wiels (Bruxelles), à Centrale Fies (Dro/Italie), au Centre Pompidou et à Lafayette Anticipations (Paris), lieu où il a aussi lancé son projet d’édition YBR (Young Black Romantics). En avril 2023, il a présenté son projet The Guru à la Fondation Louis Vuitton (Paris). Ndayé Kouagou est représenté par Nir Altman (Munich).
[1] Ndayé Kouagou, extrait de l’œuvre Petit comme moi (2023)
[2] Extrait d’un entretien entre l’artiste et la commissaire
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