Né en 1984, le Frac Occitanie Montpellier (Frac OM) a constitué une collection représentant tous les médiums de l’art contemporain, selon des ensembles qui donnent accès à de nombreux enjeux de société. Forte de près de 1 300 pièces, elle permet d’aborder le renouvellement des formes classiques (peinture, sculpture, dessin) et les innovations dans les techniques de l’image ou du son (photographie, vidéo, film, pièces sonores), comme de saisir l’ouverture de l’art aux objets (installations), aux images et aux signes (pièces protocolaires), mais aussi à l’espace de vie et aux multiples contextes de présentation de l’art.
Cette diversité confère à la collection à la fois une valeur patrimoniale et une relation à l’actualité tout aussi essentielle, dans une attention jamais démentie à l’émergence et aux jeunes générations. Inaliénable, la collection est propriété de la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée.
Depuis 1998, l’espace principal de diffusion du Frac OM est une belle salle d’exposition située à Montpellier (une partie des réserves y est attenante) : y sont présentées chaque année entre 4 et 5 expositions assorties d’une programmation culturelle à destination de tous. Le Frac OM présente aussi les œuvres dans toute la région Occitanie et au-delà, en partenariat avec une multitude de structures publiques et privées – établissements scolaires ou monuments historiques, sites patrimoniaux ou musées, centres d’art… Ces présentations sont accompagnées d’activités de médiation et d’une documentation pédagogique.
Depuis 2016, le Frac OM a développé deux programmes majeurs : avec les écoles supérieures d’art de la région (Montpellier, Nîmes, Pau-Tarbes et Toulouse), le projet Post_Production qui permet à 4 artistes issu·e·s de ces écoles de bénéficier d’une production et d’une exposition collective ; avec les Abattoirs, musée – Frac Occitanie Toulouse, le parcours Horizons d’eaux qui présente chaque été les collections et des productions nouvelles le long du canal du Midi.
Pouvez-vous expliquer en quelques mots pourquoi avez-vous souhaité postuler à la direction du Frac OM ?
Après 17 ans passés à la Villa Arson à Nice, j’avais tout simplement envie de travailler différemment, d’être confronté à des publics différents, avec de nouveaux enjeux, de nouvelles expériences.
Y-a-t-il des choses que vous avez découvertes qui vous ont particulièrement interpelées en préparant votre projet de candidature ?
J’ai été agréablement surpris de découvrir que le travail de terrain, notamment de diffusion de la collection, était toujours très actif, que l’équipe était très engagée et investie. C’est très rassurant d’un côté mais un peu inquiétant de l’autre car ce n’est pas normal que cet engagement ne soit pas reconnu à sa juste valeur.
Pouvez-vous résumer en quelques lignes les grands axes de votre projet artistique et culturel pour le Frac ?
Je veux avant tout prendre du temps pour écouter l’équipe comme l’ensemble des partenaires en région, ne pas arriver avec des idées toutes faites sans avoir conscience des attentes ou des limites existantes. Par ailleurs, aucun projet artistique et culturel ne pourra vraiment se développer tant que nous n’aurons pas résolu le problème des locaux qui sont à ce jour séparés en trois espaces distincts dans Montpellier et ses environs. C’est totalement schizophrénique de travailler dans ces conditions. Cela ne facilite pas le dialogue interne et crée des équipes dans l’équipe.
En attendant, nous allons bien sûr travailler en tentant de mettre en place certaines actions. J’aimerais notamment faire évoluer le principe d’acquisition vers des projets de terrain plus structurés et structurants, vers des commandes avec des partenaires locaux, vers des œuvres qui intègrent la vie de communautés ou de groupes sociaux-professionnels. Cela ne va pas être simple car ce type d’ambition est toujours complexe à mener, mais cela vaut le coup de le tenter.
Comment envisagez-vous le lien du Frac avec son territoire ? Quels axes souhaitez-vous développer ?
En faisant évoluer le principe des acquisitions vers des commandes, il s’agira justement de mettre en place des dialogues différents avec les partenaires, au-delà du traditionnel prêt d’œuvres. Cela ne remet pas en cause le travail de la diffusion de la collection mais cela permet d’être plus « agissant », plus ancré dans le territoire, dans la vie.
Quelles spécificités de la collection souhaitez-vous mettre en lumière ?
Aucune en particulier car le grand avantage d’une collection telle que celle du Frac Occitanie Montpellier (avec plus de 1300 œuvres) est d’offrir une multitude de perspectives, ce qui en fait un vaste terrain d’expérimentation pour sa diffusion. J’aime bien l’idée qu’on puisse entrer dans la collection par plusieurs portes et qu’on puisse ensuite y naviguer librement. En flânant ces dernières semaines sur le site de la collection, j’ai d’ailleurs fait de belles découvertes d’artistes que je ne connaissais pas ou peu.
Quels sont pour vous les nouveaux publics à mobiliser ? Quelles stratégies et actions souhaitez-vous développer ?
Là aussi, je veux prendre le temps de discuter avec l’équipe de la relation aux publics que le Frac entretenait ces dernières années. J’ai envie de bien comprendre ce qui est fait autour de la collection. Mais quoi qu’il en soit, on ne crée pas du lien avec les publics en restant confortablement assis sur des principes éculés de la médiation. Au-delà du contenu « éducatif », la diffusion de la collection doit être un prétexte pour créer du lien social en allant vers des réseaux élargis, non pas pour organiser des simples visites d’expositions mais pour être le plus inventif possible. Gaëlle Saint-Cricq, la chargée des publics, organise par exemple le 18 octobre prochain des plaidoiries sur l’art. Je ne sais pas ce que cela va donner mais j’aime bien cette idée. Je suis par ailleurs très attaché aux arts vivants comme à l’esprit des fêtes votives qui sont encore très vivaces en Occitanie, souvent singulières dans leurs animations. J’aimerais par exemple organiser pour certains vernissages dans des communes rurales des bals en invitant des jeunes groupes de musique de la région. J’ai également proposé de lancer un programme de processions pensées et conçues par des artistes, en lien bien sûr avec des collectivités locales.
Comment le Frac peut-il s’inscrire dans les grands défis écologiques et numériques actuels ?
Soyons honnêtes, il y a un paradoxe évident entre la mobilité nécessaire et indispensable d’un Frac dans sa région et les principes de toute politique éco-responsable dont la base est de réduire au maximum les mobilités. Ceci étant, je compte d’ici un an proposer un plan stratégique sur ces « défis » comme vous les nommez. Ce plan ira de pair avec une proposition sur les locaux, sur le principe des acquisitions, sur la diffusion de la collection et sur nos actions. Quoi qu’il en soit, ce plan ne passera pas par des rêves de grands bâtiments qui brillent de milles feux ni par des manifestations énergivores. Je rêve d’un Frac à dimension humaine proche des gens, proche de tout.
Quels sont les éléments qui font que vous trouvez l’œuvre d’un ou d’une artiste particulièrement intéressante ?
Je suis très pragmatique dans ma conception de l’esthétique. Je me méfie de ce qu’on résume en un pitch, une idée ou une idéologie car pour moi l’art est une somme d’expériences qui forme un mille-feuille de pensées et de formes, de cadres et de lignes de fuite. Je prends beaucoup de temps à « décortiquer » une œuvre.
Éric Mangion était directeur du centre d’art de la Villa Arson entre 2006 et 2023. Il y a accueilli de nombreuses expositions monographiques et collectives, notamment en lien avec la recherche et l’enseignement. Il a été directeur du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur de 1993 à 2005 dans lequel il a axé une partie de la collection sur des œuvres évolutives. Commissaire ou co-commissaire indépendant de nombreuses expositions en France ou à l’étranger, il fut également directeur artistique du festival Printemps de Septembre 2010 (Une forme pour toute action) et conseiller artistique du festival Live à Vancouver en 2011. Membre de la commission danse du Ministère de la culture entre 2013 et 2016, il a présidé le festival Actoral et Montévidéo (Marseille) entre 2017 et 2023. Critique d’art ayant participé à de nombreuses revues, il assure en 2007 la direction artistique de la revue Fresh Théorie III. Il a été enfin cofondateur et directeur de la rédaction de la revue Switch (on Paper) entre 2019 et 2022.
Dans les œuvres nouvelles dévoilées dans l’exposition monographique d’Anna Solal au Frac Occitanie Montpellier intitulée « Mille Projectiles », la figure humaine fait son retour au travers de grands dessins à échelle 1 où des personnages, souvent en groupe, apparaissent ; leurs postures rappelant celles que prennent les familles ou bandes d’ami·es pour immortaliser des moments partagés. Leurs têtes sont recouvertes de grandes cocottes en papier, reprenant les principes de filtres Instagram surgissant sur les visages absorbés par les écrans. Ces formes, éléments fantastiques évoquant les mathématiques dans l’univers symboliste d’Anna Solal, illustrent la place qu’ont prise les algorithmes dans notre société. Ces nouvelles règles plus ou moins implicites régissant notre monde nous imposent un hyper contrôle de l’image de soi par rapport aux autres. Le filtre Instagram est un masque, et les tableaux d’Anna Solal inscrivent ces accessoires d’un nouveau type de carnaval dans une certaine histoire de la peinture.
Cet espace offert à la figure humaine impose la représentation du portrait, individuel ou en groupe. Héritière de grands artistes comme les photographes August Sander ou Walker Evans qui représentent les différentes classes sociales de leur temps, Anna Solal s’est très tôt attachée à la figure du banlieusard, qu’on trouvait déjà dans ses premières productions. Cette figure est reliée à une autre récurrence importante dans l’œuvre de l’artiste, celle du lien à l’autre.
La littérature, poésie ou prose, infuse également le travail d’Anna Solal. Les figures singulières voire solitaires du XXe siècle la passionnent. Elle retient par exemple de l’écrivain allemand Ernst Jünger la dimension animiste montrant la possibilité du Mal chez l’Humain dans un univers naturel magnifiquement décrit. Chez la poétesse coréenne Kim Hyesoon, elle observe la capacité à transcrire les expériences les plus marquantes de la vie par un style expérimental, décrivant la spécificité de l’existence d’une femme. Elle chérit aussi la capacité toute particulière de Jean Genet à lier tendresse et brutalité, et à convoquer des éléments archétypaux comme les fleurs pour représenter ce paradoxe. La férocité propre aux images symboliques de Jean Genet, se retrouve dans le titre de l’exposition, Mille Projectiles, qui évoque le feu d’artifice des multiples strates des matériaux qui composent les œuvres d’Anna Solal, comme les multiples techniques qu’elles convoquent. Une dernière référence importante est celle de l’écrivain Edmond Jabès, qui n’a eu de cesse de sonder sa propre judéité pour comprendre l’horreur de la Shoah, en nourrissant une réflexion sur l’écriture et une méditation inquiète sur l’avenir de l’Homme.
Anna Solal a développé son art en se concentrant sur un bricolage assumé et non sur une technicité ancestrale. Elle produit ses œuvres par collage et couture d’objets ou de logos qui créent de nouveaux signifiants. Le fait-main ici n’est pas virtuose, il est volontairement et ostensiblement fabriqué. Très présent dans la pratique de l’artiste, notamment par la représentation des laissés-pour-compte de la société, le déclassement se retrouve dans la pauvreté des matériaux glanés : objets industriels dégradés, mondialisés, typiques de notre époque, comme les écrans ou les puces électroniques, avec leur design caractéristique.
Beauté des fleurs et amoncellements de rebuts électroniques, vêtements ultra contemporains, animaux piégés, ampoules pharmaceutiques et insectes butinant, les relations entre notre humanité et ce qui l’entoure, que ce soit la nature qu’elle altère et la pollution qu’elle engendre, sont au centre de Mille Projectiles. Les allégories nombreuses et paradoxales qui peuplent cette exposition nous autorisent tout de même à imaginer qu’un miracle peut advenir de cette Apocalypse, et qu’il passera par une réconciliation avec le monde vivant et par notre capacité à nous connecter réellement à l’autre, au-delà des écrans et des injonctions à paraitre.
Marine Lang, commissaire de l’exposition
Frac Occitanie Montpellier
4-6, rue Rambaud
34000 Montpellier
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T +33 (0)4 99 74 20 35